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a
un frère d'Occident


J'écris ici ce que je n'ai cessé d'écrire depuis quarante ans, mais j'ai toujours ce même cri dans mon cœur pour mes frères d'Occident qui vont et viennent sans savoir d'où ils viennent ni où ils vont.
Que l'on me pardonne si je me répète, mais on voudrait tellement que notre vieux désastre humain ne se répète plus ja-mais.
Et que pouvons-nous pour cela?
Satprem 20 février 1998

Un coup de phare

1

Un coup de phare

En simplicité, j'aimerais dire...
à ceux-là qui courent sans savoir
ce qu'un très vieil homme peut dire
par amour pour ses frères
et qui regarde par-delà les siècles
ce qui bat dans une seconde de maintenant
comme si tout était su
tandis que ce maintenant reste à vivre
pas à pas.
J'ai couru sur ce boulevard
et tant d'autres boulevards de la vie
et j'aurais aimé savoir ce que je sais maintenant.
Mais aurais-je pu le vivre, alors?
Il faut bien vivre pas à pas, et dans le noir,
mais on aimerait,
on aimerait tant que ce Noir soit moins noir.
Quelquefois, un coup de phare
éclaire toute une vie, et cette seconde
est pleine de tous les siècles.
J'ai tant lu, et les livres me tombent des mains,
et je suis devenu silencieux
et tous les siècles humains étaient là.
J'ai tant aimé, et mon cœur s'est apaisé,
mais mon Amour reste devant,
et plus loin, et plus vaste
et jamais apaisé tant qu'il reste un enfant
qui court sans savoir.
Saurais-je dire ce qui hante celui-là que j'étais
et que je suis toujours ?
Saurais-je lancer ma bouée
pour un frère qui peine et qui voudrait bien savoir
ce qui hante un homme de maintenant
comme il y a des millénaires
en cette seconde qui contient toutes les secondes perdues,
comme si tout était pareil sous tant de masques
et tant de peines jamais perdues qui battent maintenant
et nous font signe sous leur poids de questions?
Alors, simplement, j'aimerais dire ce qui bat
sous ces questions, sous ce Noir qui s'obstine à vivre
sous cet Amour qui ne se sait pas et qui court toujours devant
et qui bat quand même sur ce boulevard d'aujourd'hui
si pareil au boulevard des siècles oubliés.
Un coup de phare dans la vieille Nuit.

V

En savons-nous plus maintenant qu'au temps de Socrate
ou de la reine Nefertiti?
Et quel pouvoir avons-nous
sur notre destin et notre monde?

V

Nous vivons dans une Ignorance totale
des vraies lois de la vie.
L'Occident a voulu nous convaincre
de la supériorité de sa Science
et de ses Églises.
Mais aujourd'hui nous vivons
dans un mensonge plus hideux que Hitler,
qui, au moins, avait sa tête bien reconnaissable,
maintenant le Monstre a mille têtes et mille bouches,
un innombrable Mensonge hypocrite et hypnotique,
quand il n'est pas ouvertement cruel.
La Barbarie galope*.

Où est la piste de notre avenir
dans cette géographie hideuse ?
Où est notre pouvoir humain
dans cette aberration d'un Âge ?

* Ces lignes sont extraites d'une lettre personnelle à notre ami Robert Laffont. Et c'est lui, ses questions, qui ont déterminé les pages qui suivent.

2

Une géographie inconnue

Il y eut des Âges plus heureux.
Mais ces Âges plus heureux sont tout de même morts et en ruine, bien qu'ils puissent vivre encore secrètement dans nos recoins oubliés. Et nous allons chercher dans les ruines ce qui est peut-être , tout vivant en nous, comme si c'était hier.
Il y a une géographie inconnue qui relie tout — tous nos vieux chemins, heureux ou malheureux. C'est cette géographie « natale », pourrait-on dire, que j'aimerais conter aux enfants ignorants, ou oublieux, d'aujourd'hui.
Pourquoi donc sont-ils morts, ces vieux chemins qui furent plus ensoleillés? et qu'est-ce qui vit encore en nous, en dépit de toutes les pensées provisoires que nous pouvons mettre là-dessus, et tous les catéchismes et toutes les « merveilleuses » découvertes d'aujourd'hui qui ne découvrent rien mais engloutissent davantage sous leur fatras la simple chose qui était là depuis... toujours. Depuis notre première naissance au monde.
Notre temps humain, si bref, contient très simplement le symbole de tous les Âges et tous les chemins disparus. La vie se lasse de tourner en rond : on a soixante-dix ans, ou cinquante, ou n'importe, et voilà tant d'années que l'on fait le métier, de médecin ou de savant ou de chauffeur de taxi, ou n'importe, avec ses histoires, petites histoires, heureuses ou malheureuses. La vie se lasse... mais on espère toujours devant, plus loin, ailleurs, et cet « ailleurs » n'est jamais là, ou peut-être toujours là, mais inconnu, dans quelque géographie indicible, jamais faite. La vie s'use de n'avoir pas trouvé ce « chemin-là » qui ne s'userait pas. Alors, on ne sait pas pourquoi, on attrape le cancer, ou cette maladie-ci, cette maladie-là. Mais il n'y a pas de cancer ! il n'y a pas de « maladie » qui fait que... Il y a la Vie qui en a assez de tourner en rond et qui attrape le cancer ou n'importe quelle babiole chanceuse ou malheureuse, quelque prétexte pour sortir de son vieux Malheur, comme les Âges plus heureux et ensoleillés ont attrapé une invasion hittite ou romaine ou gothique pour sortir de leur jolie ronde qui n'était plus si jolie et s'usait de n'avoir pas trouvé ce chemin plus loin, ailleurs, là-bas devant — il n'y avait pas d'« Invasion » : il y avait la Vie qui voulait se laisser envahir par autre chose. Et finalement, il n'y a pas de « mort », il y a la Vie toujours qui cherche son chemin joli, sa géographie lointaine et pourtant toujours là, dans cette minute perdue sur ce boulevard d'aujourd'hui comme au temps de Nefertiti et d'Akhenaton et de leur Dieu solaire — mais ce soleil-là s'est englouti dans les sables et nos hypogées sont pleins de morts. Vivra-t-on toujours cette « vie » qui s'use sans avoir trouvé son chemin joli? Peut-être sommes-nous dans l'hypogée d'une vraie Vie qui n'est pas encore née ? Les espèces aussi s'usent de leurs millions d'années ; elles font des petits kangourous et des iguanes gentils, ou des eiders qui glissent dans le vent du Nord, ou même des hommes qui se lassent de leur fatras et de leur métier — c'est moins joli, mais il faut que ce soit bien laid ou malheureux pour vouloir sortir de cette ronde-là. Alors les espèces «attrapent» des glaciations ou des déserts, des fléaux noirs, des virus ou des bombes ou des guerres victorieuses pour sortir de leur perpétuelle Défaite et de leur Maladie mortelle, comme on attrape des Invasions ou des soixante-dix ans vieillots. Mais il n'y a pas de Maladie ! il n'y a pas de cancer, il n'y a pas de mort, il n'y a pas d'extinction des espèces — il y a une éternelle Espèce qui cherche son chemin joli, à travers la vie, à travers la mort, à travers les soleils et les ténèbres, pour trouver sa vraie géographie et sa grande Ourse sans compas et sans âge. Sa vraie Vie sans mort et sans murs.
Nous avons quelques millions d'années vieillottes dans une géographie provisoire et tout à fait périmée.

3

Une Semence

Il y eut des Âges moins barbares.
Mais la Barbarie galope aujourd'hui comme resurgie de quelque Continent oublié, comme si elle n'avait jamais cessé sous un masque ou un autre. Mais la Vie se lasse aussi, même de ses barbaries : elle cherche toujours, et à travers tout, son chemin joli.
Les petits iguanes étaient bien gentils et les kangourous — et se lasserait-on de glisser dans les airs avec le sterne arctique sur les collines de neige?
Quelquefois, on peut regretter que l'Évolution ne se soit pas arrêtée aux oiseaux, mais il fallait bien produire cette espèce incongrue au crâne protubérant. C'est dommage.
Soyons donc un peu insolent. Mais c'est mieux que d'être dogmatique.
Elle allait tout conquérir, cette espèce ambiguë et incertaine, et si sûre d'elle-même, elle était le roi de la création — mais sait-on combien de « rois » ont passé avant elle et combien de royaumes ont disparu dans les sables? Conquérir, c'était sa vertu, tandis que les espèces moins barbares s'arrêtaient à leurs limites forestières ou maritimes, et leur compas était assez infaillible pour trouver tout seul leur chemin dans les airs ou les forêts, même vierges, tandis que le nôtre vacille d'un pôle à l'autre et d'une aberration pensante à une autre: on se cogne, on va d'une limite à une autre, mais on veut traverser les limites, et on trouve d'autres compas plus sûrs pour se heurter à d'autres limites: conquérir les limites et les impossibilités, c'est notre vertu, heureuse et malheureuse. Comme s'il y avait une graine dedans qui poussait et poussait en dépit de tout — en dépit de nos malheurs et de nos erreurs, ou à cause de ces erreurs et de ces malheurs. L'animal n'avait pas de «malheur»: cela faisait partie de sa géographie, comme la foudre et les tempêtes ou les inondations, et si son espèce disparaissait, c'était pour en produire une autre: la Nature se servait de la Mort, ou de n'importe quoi, pour sortir de la vieille ronde et trouver son autre chemin. Maintenant, notre espèce incongrue a trouvé tous les moyens (ou presque tous) pour détourner la foudre et endiguer les inondations. C'est le deus ex machina de toute la création (ou du moins le croit-elle). Mais elle n'a pas arrêté la mort ni endigué les virus — au contraire, la mort semble galoper davantage et les hommes sont très malades, avec ou sans virus. Car la vieille Nature nous rattrape au tournant et sa Mort veille à endiguer toutes nos «merveilles» et à démentir ou falsifier toutes nos découvertes et nos conquêtes: elle cherche toujours son chemin joli. Et plus c'est désastreux, plus elle s'approche du nouveau chemin.
Quelle sera notre prochaine invasion?
Ou peut-être est-elle déjà là.
Il y a une graine, une semence au fond de ce terreau, qui a produit des hommes comme elle a produit des hirondelles ou des singes rouges qui hurlent dans les forêts d'avant nos inventions.
A-t-on jamais vu une petite semence dans la nuit de la terre? et comme elle cherche inlassablement, inexorablement, patiemment son chemin, à travers toutes les racines et les bestioles, et contourne tous les cailloux, ou les brise et s'enroule pour débarquer au grand Soleil et dans la joie, son But inéluctable. Elle se sert même de ses obstacles pour devenir plus forte.
Il y a « quelque chose » d'invincible là-dedans.
Et nous ? les conquistadores de toutes les limites, les inventeurs de la Géographie indubitable avec tous ses degrés de latitude et longitude infaillibles... dans quel terreau nocturne navigue notre Semence, et où va-t-elle?
Et si elle allait contourner nos latitudes et faire sauter la croûte de notre Géographie?
Allons-nous débarquer au grand Soleil? ou fabriquer des petits soleils ingénieux qui nous réduiront en cendres pour... encore une fois chercher le chemin joli?

4

Une naissance subite

Quand la semence est sortie de son vieux terreau nocturne, c'est une longue histoire qui commence.
Elle produit des herbes folles, des volubilis, de grands hêtres à l'écorce blanche qui s'effeuillent à l'automne roux, toute une jungle entremêlée où grouille aussi toute une faune de petits bonshommes sortis du même terreau et de la même Semence. Et pourtant, il y a quelques grands banians solitaires parmi ces pousses sauvages, il y a mille histoires bizarres et si contradictoires sous tant de latitudes, qui remontent d'où et s'en vont où? Tant de batailles avec de vieux rocs qui finissent aussi par éclater et tant de bestioles et d'enlacements qui finissent par s'étouffer, tant de chemins sans chemin qui finissent par se dessiner tout de même, ici ou là, sous cet équa-teur ou ce Grand Nord ; et la vieille-vieille Semence quand même qui devient plus forte de ses mille batailles et de ses mille étouffe-ments qui cherchent toujours plus d'air, et ses interminables défaites qui poussent encore vers...
Chacun est une petite histoire de la grande Histoire, et les « bons » comme les « mauvais » travaillent à la même poussée. Le terreau s'empile, la vieille Semence s'enfouit, ou s'oublie, sous tant de branches entremêlées qui guerroient pour conquérir plus d'espace ou de... quoi?
Il y a de vieilles peines qui font des pousses plus fortes, de vieilles blessures qui font des plantes plus assoiffées, surgies ici ou là dans ce climat rude ou plus clément — mais « d'où je sors? », se demande parfois quelque broussaille fouettée par le grand vent.
On vous apprend tant de choses à l'école, ici ou là, dans cette tribu solidement sortie de ce roc ici et de ce pays-là. C'est tout solide et humé avec la première bouffée d'air maternel, et pourtant quelques pousses sauvages et solitaires se souviennent vaguement d'un autre air et d'un autre pays — peut-être beaucoup d'autres pays inconnus mais qui soufflent encore dans quelque vieille ramille et qui blessent encore dans quelque vieille racine disparue ou oubliée — mais c'est comme un oubli jamais oublié, une vieille soif qui a tant soif. Et tout d'un coup, sous un prétexte aussi futile qu'un vent qui passe, une note de musique égarée, ou un « coup du sort » qui entaille l'écorce fragile que l'on croyait si solide, quelque chose bée — mais alors, c'est une terrible béance. Comme sur rien qui est terriblement « quelque chose ».
Comme une naissance subite dans un millier de naissances.

5

Une herbe folle

Il y a bien des herbes folles, et d'autres pas si folles.
Mais c'est étrange, tout de même, lorsque quelque sauvage de notre jungle et de notre géographie présente se met à ouvrir un autre œil dans ce crâne protubérant — c'est même sidérant. Voyons-voyons ! d'où est-ce que je sors parmi tous ces petits chrétiens bien édu-qués ? Certainement, il y a de grands hêtres blancs, des banians solitaires au milieu de nos hordes pensantes, et pourquoi donc ceux-là sont-ils sortis subitement au bout de quelques brefs cinquante ans, ou même à dix-neuf ans comme certain frère poète qui annonçait déjà :
« Voici venir le temps des assassins » ?
Alors, dit-on, pour « expliquer » ces naissances un peu trop subites au milieu de nos longs siècles : ils sont « voyants », ou ils sont « plus intelligents ». Leur protubérance est plus protubérante.
Ou encore, dans le langage de notre géographie savante : ils voient « devant ». Mais d'où ce « devant » est-il sorti de notre terreau nocturne au milieu de ces millions de racines entremêlées? — il doit bien y avoir une continuité « quelque part », pourquoi « moi » là-dedans subitement? ce moi d'une petite décade qui contiendrait des siècles, cette petite seconde déchirée qui ouvrirait des yeux immenses? Un « coup du sort » ? Mais d'où ce sort est-il sorti ! Et il y a tant d'autres petites herbes folles qui ne disent rien mais qui ont un petit frisson subit et qui ne comprennent rien à ce coup inattendu ou à ce sourire ensoleillé qui vient bouleverser leur vie, comme si ce sourire avait toujours été connu, comme si ce chemin avait toujours été couru.
Quelquefois, on ose se dire : il n'y a pas de « connaissance », il n'y a que des re-connaissances : ce quelque chose qui jaillit soudain et c'est ça.
Décidément notre géographie ne vaut rien.
Et si ce « devant » était déjà derrière?
Et si cette seconde inattendue n'était pas longuement mûrie?
Si ce Sourire ensoleillé ne venait pas d'une très vieille tendresse oubliée et ce Soleil n'avait pas toujours été au fond de nos années nocturnes sur un chemin joli qui courait avec nous depuis toujours?
Nous habitons une Forteresse d'Ignorance, et quelquefois ça craque — juste une petite racine tenace qui passe le nez dehors.

6

Un évadé

Parfois, un enfant d'homme s'évade de la Forteresse.
Il faut un vrai miracle pour sortir de là, parce que c'est solide. Ou bien un « coup du sort » (ah ! ces coups du sort, on se demande toujours d'où ils sortent) qui fait un trou pour nous. C'est comme de traverser des siècles noirs d'un coup. Décidément, il y a des racines tenaces.
Les « miracles » qui font le trou sont un peu terribles.
Mais d'une espèce à l'autre, il y a toujours eu un miracle qui ressemblait à une catastrophe — gracieuse catastrophe —, une vieille racine qui poussait en dépit des vieilles splendeurs et des vieilles joies. Quelque broussaille sauvage avait toujours envie de sortir de là.
Donc, un enfant d'homme moderne était sorti d'une hideuse Forteresse, aussi épaisse que deux mille ans de temps occidental, et par hasard (ah ! ces « hasards », d'où sortent-ils aussi?) il s'est retrouvé subitement en Haute-Egypte comme dans un miracle tout vivant, tout frissonnant où il lui semblait tout reconnaître sans rien y connaître. Il n'était pas égyptologue, Dieu sait ! il était n'importe quoi qui n'a plus de nom ni de pays — les vieux pays, c'était tout mort d'un coup avec la Forteresse, comme les généalogies des petits hommes qui font des petits et des re-petits. Comme un énorme cimetière. Et pourtant, quelque vieille Mémoire frémissait et vibrait sur ces ondes de sable qui ne faisaient même pas une piste. Tout était émouvant d'une émotion sans nom, comme si ce petit-là était soudain sur une piste. Ou peut-être sur la piste.
Il avait envie de palper les murs roses, de toucher ces piliers énormes qui s'en allaient dans un infini de silence, de s'asseoir au bord du Nil et d'écouter-écouter cette coulée lisse qui n'avait pas de voix et qui bruissait quand même de mille voix inconnues-connues, comme une odeur de mémoire qui s'accroche à un rocher nu, un vieux lichen qui garderait tout le parfum d'un océan. C'était très émouvant, et pourtant cela n'appartenait à aucun sens, comme une autre sorte de sens qui palpe dans la nuit et qui s'acharne et qui voudrait gratter-gratter là-dedans pour savoir ce que c'est, pour humer encore cette odeur de mille nuits.
Et puis, il s'est retrouvé soudain dans une tombe de Thèbes : un corridor dans la pénombre, une fresque peinte sur un vieux mur. Il était seul. Il a regardé-regardé longtemps, mais d'un regard sidéré comme d'un homme qui tombe sur une autre planète. Un regard qui s'enfonçait loin-loin à travers des âges perdus, c'était plein-plein et c'était rien qui regarde un formidable « quelque chose », une incompréhensible compréhension qui s'en allait là-bas, qui s'engouffrait à travers les murs et les lignes peintes, comme un burin de lumière braqué sur un point noir. Et ce point noir s'est ouvert soudain comme une fleur irisée.
Une Énigme... qui gardait son énigme tout en jetant des rayons vivants.
C'était tout compris et le petit « je » de maintenant n'y comprenait rien, sauf que quelque chose s'était déchiré dans sa conscience. C'était une déchirure profonde, peut-être comme un bébé qui pousse un cri et ouvre un premier œil au monde.

V



Lentement, l'enfant de la vieille Forteresse incompréhensible a réémergé dans le corridor, il a regardé les lignes extérieures, le dessin, cette fresque peinte — elle était immense. Et sous ses yeux ébahis, il a vu un long-long serpent, comme un python, qui ondulait, déroulait ses anneaux — on ne sait pas où ça commençait ni où ça finissait —, et sous chaque repli du grand Serpent, il y avait un petit bonhomme qui portait un anneau : 1, 2, 3, 4, 5... on ne sait pas combien de petits bonshommes, comme une procession sacrée qui sortait d'un infini derrière et s'en allait dans la nuit des Temps... vers un Maintenant qui était lui peut-être, sous un anneau du même Serpent, et d'autres peut-être qui seraient encore lui dans cet incompréhensible Présent à venir. Un éternel Présent toujours jaillissant d'un vieil anneau oublié.
Mais lui, plus jamais il n'oublierait cet anneau-là ni cette seconde-là.
Il est allé s'asseoir au bord du Nil et il écoutait mille voix silencieuses qui lui disaient une longue Histoire, et pour une fois, tout tenait debout ! comme mille morceaux éclatés qui se renouaient, mille notes d'un vieux chant qui faisaient une mélodie... inachevée.
C'était passionnant, c'était vivant comme une grande Aventure.
Et maintenant, il allait dans la nuit et le noir devant comme si la Nuit n'avait jamais été nocturne et le prochain pas dans le Noir allait jaillir tout neuf d'un petit bonhomme qui avait largué son vieux fardeau pour inventer son avenir et sa nouvelle histoire.

7

L'Énigme

Étrange... la piste devant semblait toujours aller derrière.
Mais ce « passé » n'était ni mort ni enterré, au contraire ! il était comme la source jaillissante de chaque moment présent, et pas seulement jaillissante mais pressante, impérative, pourrait-on dire — une sorte d'inconnu qui veut absolument devenir connu.
Et notre évadé de la vieille Forteresse a culbuté dans l'Inde comme dans un océan frémissant, vibrant, une formidable risée qui courait partout — tout lui parlait, lui disait une extraordinaire Histoire qui était son histoire, sa propre histoire. Ça courait les rues comme une foule de mille voix qui était une même Voix, muette, impérieuse mais tendrement pressante, comme une Mère disparue qui appellerait encore son enfant.
Ce petit bonhomme sous un anneau du grand Serpent, sous un Maintenant qui allait devant ou derrière, on ne sait pas, mais c'était peut-être une même coulée de toujours, une poussée d'une irrésistible sève créatrice qui voulait faire son arbre dans la grande jungle — mais quel arbre ? tant que ce n'est pas sorti, on ne sait pas, ça sort peu à peu et dans le noir, mais ce noir-là semblait maintenant animé, et le petit bonhomme allait pas à pas — il courait plutôt et galopait et se cognait à droite, à gauche, mais chaque coup ouvrait une porte, chaque « erreur » enfonçait ou déterrait une lumière plus profonde, une réalité plus mystérieuse qui débouchait sur un mystère plus vaste, une Énigme qui n'en finissait pas de dire son énigme. C'était la grande Aventure, une jeunesse de vie qui avait des milliers d'années et n'en finissait pas de tirer sa sève, trouver sa racine d'arbre, sa jolie fleur. Et où donc cela s'arrêtait-il?
Cette fois, le jeune évadé est tombé sur des mots qui semblaient lui dire, peut-être, ce que la fresque de Thèbes lui murmurait dans la pénombre, mais à vrai dire les mots sont seulement la traduction d'un son, de « quelque chose » qui vibre plus profondément et semble d'autant plus puissant qu'il reste à vibrer-vibrer au loin comme un appel perdu, comme une musique d'aucune langue et d'aucun pays, qui serait pourtant le Pays de toujours, la Note dont on a tant soif. C'était le Rig-Véda :

« Vieux et usé, il devient jeune encore et encore... »

Le Rig-Véda, c'était quatre mille ans avant Thèbes, avant Nefertiti et Akhenaton — quatre mille ans !
« Il devient jeune encore et encore. » Quel était donc ce « il » ? ce lui-même qui poussait sous cet anneau de maintenant, qui voulait devenir arbre et fleur et arc-en-ciel encore et encore...
Il y a une Énigme au fond d'un homme comme au fond des millions d'années et nous sommes peut-être dans la préhistoire d'une grande Histoire pas encore née.

8

Deux mémoires

L'Énigme court toujours.
Et quand nous croyons l'avoir prise au piège, c'est nous-mêmes que nous piégeons, pour nous enfermer dans une nouvelle prison. Cet évadé ne voulait plus de prison, jamais-jamais. Il écoutait au loin cette Voix du Rig-Véda, qui avait déjà perdu son écho de bronze, sa langue d'avant nos langues, son murmure profond, pour se mettre en traduction. Mais tout de même...
Cette Voix disait encore :

«Conquérons ici-même
Courons cette course
et cette bataille aux cent chemins... »


C'était palpitant, c'était à vivre. C'était avant Thèbes, et c'était encore quelque sept mille ans avant que les portes de fer de notre vieille Forteresse ne se referment sur nous... Il courait sur mille pistes, folles et pas si folles, cet évadé. Mais toujours une vieille ombre courait avec lui, comme si, toujours, deux chemins couraient l'un sur l'autre, ou deux mémoires : une très vieille piste, inconnue et pourtant toujours vivante comme le soleil d'Akhenaton enseveli sous les sables, et une autre qui faisait ses pas sur une croûte noire, également inconnue mais mortelle. Un perpétuel Défi : voyons ! tu veux la vie ou tu veux la mort? Un chemin joli et l'autre. Et l'«autre », c'était « cent chemins » dans le noir, avec, de temps en temps, des « coups du sort » qui vous faisaient prendre des tournants vertigineux. Comme si le vieux chemin joli se réveillait d'un coup pour vous remettre sur la piste.
Certains appellent cela «Destin».
Un jour, sur une piste d'Afghanistan, dans ces paysages désolés d'infini, comme désolés de leur propre grandeur nue, près d'une forteresse de roc et de boue ocre nommée Ghazni, grouillante d'une étrange foule obscure sortie d'un Moyen Âge d'avant notre Moyen Âge —
comme si, toujours, il y avait eu des Forteresses, ici ou là pour endiguer l'Infini —, notre évadé jeunet s'est souvenu d'une autre voix, d'un autre grand Évadé qui semblait murmurer à son oreille :

« À d'autres de confondre l'abandon au hasard et cette harcelante préméditation de l'inconnu. »

C'était André Malraux.
Du coup, le hasard n'était plus hasardeux ! il était courageux et solitaire — et prémédité quelque part sous quelque anneau du petit bonhomme d'avant, oublié dans les sables. Mais toujours harcelant.

V

Et qui, donc, prémédite?
Quel est cet « il » de maintenant?
Du temps où il était encore dans la vieille Forteresse, cet assoiffé d'évasion avait une mère bien maritime et navigante qui tenait à tous les vents ; elle avait beaucoup navigué dans la vieille vie et elle observait ses enfants comme on regarde ses amers et les balises dans la vieille passe, et elle disait à ce coureur des landes et des chemins interdits (plus c'était interdit, plus c'était adorable), elle disait de sa petite voix tranquille et claire : « Tu vois, celui-ci, c'est tout à fait le grand-père, et celui-là, c'est l'oncle Victor, et celle-ci, c'est la cousine Mariette, et puis ce filin-là qui ne file pas, c'est plutôt du côté paternel, c'est enraciné comme le bout du quai. » Et elle ajoutait dans sa philosophie maritime : « L'atavisme, c'est tout. » Alors le jeune rebelle a regardé, figé soudain comme un gouffre noir, et il voyait d'un coup une ribambelle de petits grands-pères qui faisaient des petits grands-pères et des re-petits... C'était effrayant, comme un cataclysme généalogique.
Il a dit : « Mais regarde ! la Mariette a déjà un amant, et le Victor a divorcé pour courir la gueuse, et tous-tous ils s'embrassent et se désembrassent, ou ils restent ensemble comme deux berniques qui se regardent de travers sur leur rocher. Moi, je ne ferai ja-mais de petits grands-pères, ja-mais. »
— Tu feras comme tout le monde, mon enfant.
Un point c'est tout.
Mais c'était la seule chose à ne pas dire à ce têtu-là — plus c'était ordonné et décrété, plus c'était à désobéir ou à trouer, à tous risques.
Il aimait mieux les pistes vierges d'Afghanistan (à part les forteresses), et cet infini qui s'en allait dans plus d'infini, comme si, tout de même, au bout, on allait déboucher sur quelque point de finitude qui ne serait fermé nulle part, quelque petit bonhomme d'ici-maintenant qui serait toujours-toujours et qui naviguerait dans une géographie sans fin.
Alors, maintenant, notre évadé tout neuf retrouvait à chaque pas de sa piste palpitante d'autres pas fantômes aussi tenaces que le bout du quai sous la vague, un chemin d'ombre par-dessus le chemin joli qu'il courait pieds nus et à tous risques sans savoir où il allait ni d'où il venait, deux mémoires : d'ombre collante, et de Soleil disparu mais toujours ensoleillant par quelque crevasse mal fermée — un petit bonhomme inconnu et préméditant qui voulait trouer tous les murs et devenir ce Soleil-là, ce « il » du fond des âges qui serait « je » pour toujours dans une Histoire sans fin.
C'était le grand Défi, l'Aventure harcelante sous toutes nos aventures, heureuses ou malheureuses.

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ссылка на сообщение  Отправлено: 19.11.10 13:39. Заголовок: • SATPREM / DAVID MO..


• SATPREM / DAVID MONTEMURRI (1981 – 2 h 40')
Эти две кассеты содержат интервью Сатпрема, взятое Давидом Монтемурри, которое послужило базой для фильма "Человек после Человека".
• ЧЕЛОВЕК ПОСЛЕ ЧЕЛОВЕКА (1981 – 60 ')
Звуковая лента фильма того же названия Давида Монтемурри.

60 минут, т.е. сам фильм продолжительностью один час.

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ссылка на сообщение  Отправлено: 24.11.12 13:26. Заголовок: http://maxpark.com/u..


http://maxpark.com/user/antipov/content/786537
перевод "Удара фары".
Но гораздо удобнее читать здесь http://caitya.narod.ru/1-7.html

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